L'Elysée orchestre le sauvetage de
Frédéric Mitterrand
14.10.09 | lemonde.fr
La scène est
iconoclaste : un ministre de la
République tenu
de s'expliquer en prime time sur ses moeurs, obligé de se
défendre des soupçons de "tourisme sexuel " et
pis de
pédophilie. Frédéric Mitterrand, au
centre d'une
violente polémique depuis quatre jours, s'est
livré
à une explication de texte jeudi 8 octobre, devant les
caméras du 20 heures de TF1, à la demande du chef
de
l'Etat.
Nicolas Sarkozy, qui l'avait reçu dans la matinée
avec
Claude Guéant, le secrétaire
général de
l'Elysée et François Fillon, le premier ministre,
lui
avaient demandé de dissiper avec force les malentendus
concernant sa vie privée. La petite cellule de crise avait
peaufiné l'argumentaire : il fallait d'urgence couper court
aux
amalgames entretenus par le Front national entre son livre et les
soupçons de pédophilie. Alors que sa
démission
était réclamée par le Front national,
et plusieurs
responsables socialistes, le ministre de la culture a
répondu :
"Jamais !"
Devant les caméras de TF1, il est revenu sur le sens de son
livre La Mauvaise Vie (ed. Robert Laffont, 2005), au centre de la
polémique. Dans cet ouvrage, bien accueilli à
l'époque par la critiques et les lecteurs, a-t-il
souligné, l'écrivain avait
évoqué des
expériences de tourisme sexuel à Bangkok, des
amours
tarifées avec "des garçons", "des gosses".
Après être resté vague sur le
caractère
autobiographique du récit, "une vie qui ressemble
à la
mienne ", a-t-il préféré dire,
Frédéric Mitterrand a reconnu qu'il avait eu "des
relations avec des garçons en Thaïlande" mais
aucunement
avec des mineurs. "Oui, j'ai eu des relations avec des
garçons,
on le sait, je ne le cache pas , il ne faudrait pas confondre - ou
alors on serait revenu véritablement à
l'âge de
pierre - l'homosexualité et la pédophilie.
J'étais
à chaque fois avec des gens qui avaient mon âge et
qui
étaient consentants, ou qui avaient cinq ans de moins. Mais
enfin il n'y avait pas la moindre ambiguïté !"
Comme l'y
avait incité le chef de l'Etat, le ministre de la culture a
condamné "absolument le tourisme sexuel qui est une honte",
"je
condamne la pédophilie à laquelle je n'ai jamais
participé d'aucune manière.", "En aucun cas, je
n'ai
jamais fait de mal à personne dans ma vie", a-t-il encore
juré.
"Un crime ? Non"
L'écrivain, se disant "ému", soucieux de
défendre
son "honneur " s'est justifié en évoquant une
"existence
difficile ", "compliquée". Il est allé
jusqu'à
reconnaître "une faute contre l'idée de la
dignité
humaine" avant de nuancer : "Ai-je commis des erreurs ? Sans doute. Un
crime ? Non. Une faute ? Même pas ". Le ministre de la
culture
s'est fait plus politique en attaquant ses accusateurs, "ceux qui ont
confondu leur fantasme, leur méchanceté avec la
vérité", mais surtout "certains socialistes ",
animés selon lui "du désir de rancune et de
vengeance".
Comme l'y avait encore incité M. Sarkozy,
Frédéric
Mitterrand a reconnu à demi-mot sa maladresse concernant
l'affaire Polanski. "Je reconnais, que j'ai été
trop
émotif ", a t-il consenti. Après l'arrestation le
26
septembre à Zurich du cinéaste pour une affaire
"d'atteinte sexuelle sur mineure" commise aux Etats-Unis dans les
années 1970, le ministre de la culture français
s'était insurgé contre une arrestation
"absolument
effroyable" . Il avait qualifié les faits
reprochés au
cinéaste d'"histoire ancienne qui n'a pas vraiment de sens".
Ce
sont ces propos qui ont déclenché la
polémique.
Les mettant en parallèle avec son livre La Mauvaise Vie, le
Front national, flairant la bonne affaire électorale, s'est
engouffré dans la brèche, alors que l'opinion est
très sensible à cette question. Sans craindre la
collusion avec le parti d'extrême droite, le porte-parole du
PS,
Benoît Hamon, a condamné les
expériences de
tourisme sexuel du ministre. Jeudi, le ton est monté d'un
cran :
Arnaud Montebourg réclame "la révocation" de
Frédéric Mitterrand jugeant "impossible" que le
président de la République et le premier ministre
puissent "maintenir en fonctions un ministre ayant agi
délibérément en violation des lois
nationales et
internationales ". Manuel Valls qualifie d'"incontestablement choquants
" et "insupportables" les écrits de
Frédéric
Mitterrand. Benoît Hamon se défend, quant
à lui,
d'avoir emboîté le pas du FN. "Le tourisme sexuel
est
injustifiable, quel que soit le récit littéraire.
Il y
aurait problème si nous abandonnions ce sujet à
l'extrême droite", a-t-il soutenu, avant d'accuser le FN de
procéder à "un amalgame entre
homosexualité et
pédophilie ". Bertrand Delanoë a
été le seul
à prendre la défense de
Frédéric Mitterrand
"face à cette offensive populiste".
Clap de fin ? Après l'intervention
télévisée du ministre de la culture,
Benoît
Hamon a lancé : "Dont acte. Frédéric
Mitterrand a
eu des déclarations extrêmement claires. C'est
incontestable." Mais, selon lui, l'affaire "laissera des traces". Le FN
continue de réclamer la démission de
Frédéric Mitterrand en jugeant les explications
"pas
crédibles." Le ministre va de nouveau livrer "sa part de
vérité " - terme qu'il a soigneusement choisi en
référence à un livre de son oncle
François
- devant les caméras de Michel Drucker dimanche.
L'Elysée espère avoir réussi
l'opération de
sauvetage. Soucieux de défendre cette prise de l'ouverture,
au
nom magique, M. Sarkozy avait demandé, jeudi matin,
à son
gouvernement, ainsi qu'au patron de l'UMP de faire bloc pour
défendre le neveu de François Mitterrand. Toute
la
journée, les ministres avaient appelé
à la
"décence" les accusateurs, ramenant les faits à
"une
affaire privée et personnelle". La majorité,
visiblement
mal à l'aise, est restée étonnement
soudée
et silencieuse. Même le très conservateur
Hervé
Mariton a préféré la mesure. "On peut
imaginer
qu'on est là encore dans un contexte de licence
poétique,
a soufflé le député, s'autorisant tout
juste une
réflexion sur l'ouverture. Cela met en évidence
les
limites de l'ouverture conçue comme une logique de casting."
Pour Nicolas Sarkozy, la polémique autour de
Frédéric Mitterrand ne devait pas remettre en
question
l'ouverture qui reste pour lui "un mouvement perpétuel".